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mercredi 12 juin 2019

Ōkunoshima, île aux lapins

La petite île d'Ōkunoshima, dans la mer Intérieure, est un endroit étonnant. Surnommée Usagi-Shima ("Île aux Lapins"), l'île affiche ainsi la couleur: elle est le territoire de très nombreux lapins qui gambadent librement un peu partout. Dès le port de Tadanoumi, d'où part le ferry pour l'île, la plaque indique tout de suite l'ambiance:
C'est tout de même une des plaques les plus mignonnes du pays. En revanche, il faut préciser que cette plaque n'est présente qu'au port d'embarquement, mais pas sur l'île elle-même (petit regret). Cette précision étant faite, il ne faut pas rebrousser chemin pour autant: Ōkunoshima mérite bien une petite visite. En effet, j'ai d'abord eu un léger doute: à Tsushima, on m'a fait la publicité du yamaneko, ou "chat des montagnes", sauvage et endémique, mais qui est absolument invisible. On pouvait donc craindre une île avec quelques rares lapins bien cachés, effrayés par les visiteurs, et donc une visite décevante (même si les îles à chats, comme Manabeshima ou Ogijima, ou les îles à daims, comme Miyajima, tiennent, il est vrai, toutes leurs promesses). Or ce n'est pas du tout le cas ici. En effet, cet îlot de 70 hectares compte plusieurs centaines de lapins, ce qui fait tout de même une bonne densité. Dès l'arrivée au port, l'accueil est chaleureux:
De l'autre côté du bâtiment, l'ambiance est plus paisible:
Et ce n'est pas juste un piège à touristes... Les lapins sont partout, sur toute l'île:
On ne peut pas accuser l'office de tourisme de publicité mensongère! En revanche, tout ceci s'accompagne d'une bonne série d'interdictions:
Entre autres, il est interdit de laisser son propre lapin domestique sur l'île (sait-on jamais)... Afin de faire fructifier cette attraction, une improbable sculpture en forme d'oreilles de lapins fait face à la mer:
Si la dimension artistique s'en mêle, cela peut évidemment attirer les touristes. Et donc, un centre de vacances permet d'accueillir cette foule:
En observant la piscine vide en plein été, on peut toutefois s'interroger sur le taux de remplissage de l'équipement. Bon, tout ceci semble vraiment bien mignon. Sauf que, ce dont l'office de tourisme se vante moins, c'est l'origine de tous ces lapins. Et là, l'histoire est beaucoup moins mignonne. En effet, comme beaucoup d'îles de la mer Intérieure, Ōkunoshima a un passé industriel. Après le grand séisme qui a ravagé Tōkyō en 1923, et face à la croissance urbaine, les îles de la région ont servi à abriter des usines polluantes dès les années 1920-1930, ce qui permettait d'épargner les villes des nuisances. Et en la matière, Ōkunoshima est sans doute le cas le plus extrême: l'île a été désignée en 1925 par l'armée impériale pour abriter une usine secrète d'armes chimiques. L'île présentait plusieurs avantages: l'isolement pour le secret et la clandestinité (le Japon a signé le Protocole de Genève en 1925, interdisant les armes chimiques, et n'a donc pas respecté cet accord), l'éloignement pour la sécurité (les éventuelles émanations toxiques ne pouvaient pas contaminer de villes proches, et l'île ne comptait alors que quelques familles de pêcheurs). C'est ainsi qu'en 1929 a été inaugurée une usine qui a produit des gaz toxiques, dans un Japon en pleine marche à la guerre: les spécialités étaient le gaz moutarde et le gaz lacrymogène, parmi d'autres raffinements. Et donc (faut-il vraiment le préciser?), les lapins ont été utilisés à l'époque comme animaux de laboratoire... L'activité s'est poursuivie jusqu'à la capitulation japonaise en 1945. Et là, l'usine a été abandonnée et les lapins survivants relâchés dans la nature; ce qui explique leur prolifération jusqu'à aujourd'hui, en l'absence de prédateurs. Il est possible, en cherchant un peu (ce n'est pas trop indiqué), de retrouver les ruines de l'usine:
C'est là que s'effondre l'image super kawaii d'Ōkunoshima. Un musée, dans lequel il est interdit de prendre des photos, retrace pudiquement, et en japonais uniquement, cette histoire si particulière de l'île. Au final, malgré tous les efforts pour rendre l'image de l'île aussi bucolique, il est vrai que la visite laisse un souvenir étrange et quelque peu dérangeant. La population locale se compte d'ailleurs sur les doigts d'une main: le maître-nageur de la piscine du centre de vacances, le gardien du musée qui sait dire "no" aux touristes souhaitant prendre des photos, le vendeur de tickets de bateau et de nourriture pour les lapins... et c'est à peu près tout. C'est donc une île aujourd'hui dévastée qui s'offre au visiteur, à condition de regarder un peu l'envers du décor. Avant de partir, il faut saluer ses compagnons d'un jour:
Le trajet du retour permet de retrouver le sourire, avec cette affiche des plus ravissantes trouvée dans le bateau:
La douceur finit toujours par l'emporter!

lundi 10 juin 2019

Kojima, ville des blue jeans

Le port de Kojima fait administrativement partie de la ville de Kurashiki, pourtant un peu éloignée. C'est toutefois une localité à part, car elle a une spécialité reconnue dans le monde entier: la fabrication des jeans. Et comme bien souvent, la spécialité est indiquée dès les égouts:
Si la réputation est récente, le savoir-faire est plus ancien. En effet, les terrains sur lesquels la cité de Kojima est bâtie sont gagnés sur la mer par poldérisation au XVI° siècle. De ce fait, les terres se sont révélées trop salées pour la riziculture, et ce sont les plantations de coton qui s'y sont développées. Les fabriques de textile ont ainsi pu prospérer, diffusant à travers le Japon des produits de grande qualité, comme les chaussettes tabi ou les uniformes scolaires par exemple. Dans la seconde moitié du XX° siècle, la présence d'Américains dans le pays a favorisé la mode des jeans, et c'est à ce moment-là que les usines ont reconverti leur activité vers cette nouvelle production. Une rue est dédiée à cette activité depuis 2009 seulement, mais sa notoriété grimpe en flèche. Le denim est vraiment le fil directeur local (sans mauvais jeu de mots), et une étape incontournable pour tous ceux qui arrivent à la gare de Kojima:
Les portillons et les escaliers sont déjà aux couleurs des jeans; les pantalons sont indiqués aussi sur le tampon de gare:
Il faut ensuite marcher une dizaine de minutes avant d'arriver dans la fameuse rue des jeans:
Bon, ce n'est pas très impressionnant, mais pour les fans, c'est là qu'il faut venir pour trouver des jeans de super qualité, voire des modèles uniques (personnalisables). Outre les pantalons, il est possible de dégoter tous les objets du quotidien (ou presque!) dans la fameuse toile bleue: sacs, bracelets, couvre-livres, trousses, porte-clefs... Jusque là, rien de bien remarquable. Mais en y regardant de plus près, on peut voir aussi que tout le mobilier urbain est décliné sur le même motif, comme les distributeurs ou les poubelles (entre autres):
Symbole de la consécration absolue, Monchhichi a lui aussi sa version denim:
Et, comme on sait que les Japonais ont le sens du détail, l'histoire ne s'arrête pas là. Oui, on peut aussi manger et boire dans des cafés spécialisés aux couleurs locales:
Bun bleu, burger bleu, glace bleue... Il y avait même une bière bleue un peu plus loin! J'avoue ne pas avoir goûté (une mauvaise expérience sans doute liée à des fruits de mer la veille ayant fragilisé mon estomac, ce n'était pas le moment pour des exploits culinaires), mais je le regrette aujourd'hui: c'est introuvable ailleurs. En guise de consolation, voici une petite plaque avec mise en scène, à l'ombre des jeans: