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samedi 19 octobre 2019

Wazuka, autre village du thé

Le thé de Kyōto n'est pas produit dans la ville même de Kyōto, mais plutôt dans le sud de la préfecture. Ujitawara est le site le plus connu, et dispose de plaques remarquables. Mais l'essentiel de la production provient en réalité de la petite commune proche de Wazuka, dont les habitants ressemblent majoritairement à leur représentation sur la plaque locale:
Une version colorée existe, mais uniquement en exposition à la mairie:
C'est un peu de la triche, mais faute de mieux... Ce qui n'est pas de la triche, c'est le trajet pour arriver jusqu'à Wazuka. En effet, depuis Kyōto, il faut prendre un train local jusqu'à Kizu, ce qui offre une jolie plaque au passage:
Il faut ensuite prendre une correspondance pour Kamo:
Et là, il faut soit attendre le bus (faible fréquence), soit retrouver quelqu'un qui va vous emmener charitablement jusqu'à destination. Quelques agriculteurs organisent des visites des plantations, et se chargent de venir vous chercher à la gare de Kamo, ce qui facilite bien les choses. Bon, pour résumer, Wazuka n'est pas très facile d'accès; mais les paysages cachés au cœur des montagnes en valent la peine. Et pour cela, la visite guidée est une bonne option. Déjà depuis la voiture, il est possible d'admirer les pentes des montagnes recouvertes de théiers:
Les poteaux ne sont pas des lampadaires, mais des supports pour étendre les bâches, que l'on devine le long des champs. En effet, les théiers peuvent être mis à l'ombre plus ou moins longtemps selon l'effet recherché. Une même variété de théier peut à la fois donner du sencha (thé vert en feuilles), du matcha (thé vert en poudre), ou encore du hōjicha (thé vert fumé), dont on peut faire varier la saveur (amertume, umami) selon la durée d'ensoleillement ou d'ombre. Comme pour le vin, les terroirs des thés sont étudiés avec précision. Il existe aussi plusieurs variétés de théiers. Au total, les variations sont presque illimitées. Dans le paysage, cette diversité se traduit par un camaïeu de verts avec de nombreuses et subtiles nuances:
Les théiers sont toujours sur les pentes, afin que l'eau ruisselle mais ne stagne pas; en contrebas se trouvent ainsi les rizières, dans les espaces plans, avec l'eau qui inonde les plants (ce qui rajoute encore d'autres teintes de vert):
La région de Kyōto est d'ailleurs réputée pour la qualité (et l'abondance) de son eau, ce qui est la base de sa richesse agricole. La visite des plantations est d'un calme absolu, loin du tumulte de la ville de Kyōto, de plus en plus envahie par les touristes. Au milieu de la contemplation, notre guide nous explique quelles sont les feuilles propices pour la cueillette:
Il s'agit des feuilles au bout de la tige, avec 2 feuilles latérales et une plus jeune pousse au milieu. Avec une organisation millimétrée, notre guide nous donne un sachet pour que nous puissions cueillir quelques feuilles. De retour à la ferme (un café, plus exactement), nous confions notre cueillette au cuisinier, qui revient quelques minutes plus tard avec des tempuras:
C'était aussi délicieux qu'inattendu. Vient ensuite le moment de découvrir les étapes de transformation du thé. Le matcha, produit emblématique, provient des feuilles les plus fraîches broyées dans une machine très simple:
Il suffit de placer les feuilles au centre, puis de faire tourner la masse de pierre avec la poignée en bois, et le matcha s'écoule sur le bord. Le prix élevé du matcha s'explique par les faibles quantités produites par ce processus. Si cette étape est aujourd'hui mécanisée, la machine électrique reste assez sommaire, et le rendement modeste. La courte durée de conservation s'explique, elle, par la fraîcheur des feuilles et le peu de traitements reçus. Pour clôturer la visite, une dégustation de plusieurs variétés de matchas est organisée:
3 tasses nous sont proposées, avec des graphiques pour présenter le degré d'amertume, d'umami et d'autres saveurs. Je n'imaginais déjà pas qu'il y avait autant de types de matchas; alors loin de moi l'idée que l'on pouvait présenter leurs goûts de façon aussi scientifique! Je croyais aussi que j'aimais "le matcha", tout simplement. Mais notre guide nous avait prévenus: nous allions nettement en préférer certains à d'autres. Je dois bien admettre que c'est vrai: j'ai trouvé la tasse de gauche excellente, je n'ai pas du tout aimé celle du milieu, et celle de droite m'a semblé tellement bizarre que je ne suis pas capable de dire si j'ai aimé ou pas. Pour le dire autrement, mon palais est plus sensible à l'umami qu'à l'amertume; ce qui était à l'exact opposé de ma voisine allemande lors de cette séance de dégustation. La visite de Wazuka est ainsi un moment hors du temps, rempli de belles et bonnes découvertes. J'en profite pour remercier Daiki-san, notre guide-agriculteur anglophone, pour ses explications et son dynamisme: une belle initiative, à encourager! Pour tous les amateurs de thé, une étape incontournable: rendez-vous au matcha-café!

mercredi 12 juin 2019

Ōkunoshima, île aux lapins

La petite île d'Ōkunoshima, dans la mer Intérieure, est un endroit étonnant. Surnommée Usagi-Shima ("Île aux Lapins"), l'île affiche ainsi la couleur: elle est le territoire de très nombreux lapins qui gambadent librement un peu partout. Dès le port de Tadanoumi, d'où part le ferry pour l'île, la plaque indique tout de suite l'ambiance:
C'est tout de même une des plaques les plus mignonnes du pays. En revanche, il faut préciser que cette plaque n'est présente qu'au port d'embarquement, mais pas sur l'île elle-même (petit regret). Cette précision étant faite, il ne faut pas rebrousser chemin pour autant: Ōkunoshima mérite bien une petite visite. En effet, j'ai d'abord eu un léger doute: à Tsushima, on m'a fait la publicité du yamaneko, ou "chat des montagnes", sauvage et endémique, mais qui est absolument invisible. On pouvait donc craindre une île avec quelques rares lapins bien cachés, effrayés par les visiteurs, et donc une visite décevante (même si les îles à chats, comme Manabeshima ou Ogijima, ou les îles à daims, comme Miyajima, tiennent, il est vrai, toutes leurs promesses). Or ce n'est pas du tout le cas ici. En effet, cet îlot de 70 hectares compte plusieurs centaines de lapins, ce qui fait tout de même une bonne densité. Dès l'arrivée au port, l'accueil est chaleureux:
De l'autre côté du bâtiment, l'ambiance est plus paisible:
Et ce n'est pas juste un piège à touristes... Les lapins sont partout, sur toute l'île:
On ne peut pas accuser l'office de tourisme de publicité mensongère! En revanche, tout ceci s'accompagne d'une bonne série d'interdictions:
Entre autres, il est interdit de laisser son propre lapin domestique sur l'île (sait-on jamais)... Afin de faire fructifier cette attraction, une improbable sculpture en forme d'oreilles de lapins fait face à la mer:
Si la dimension artistique s'en mêle, cela peut évidemment attirer les touristes. Et donc, un centre de vacances permet d'accueillir cette foule:
En observant la piscine vide en plein été, on peut toutefois s'interroger sur le taux de remplissage de l'équipement. Bon, tout ceci semble vraiment bien mignon. Sauf que, ce dont l'office de tourisme se vante moins, c'est l'origine de tous ces lapins. Et là, l'histoire est beaucoup moins mignonne. En effet, comme beaucoup d'îles de la mer Intérieure, Ōkunoshima a un passé industriel. Après le grand séisme qui a ravagé Tōkyō en 1923, et face à la croissance urbaine, les îles de la région ont servi à abriter des usines polluantes dès les années 1920-1930, ce qui permettait d'épargner les villes des nuisances. Et en la matière, Ōkunoshima est sans doute le cas le plus extrême: l'île a été désignée en 1925 par l'armée impériale pour abriter une usine secrète d'armes chimiques. L'île présentait plusieurs avantages: l'isolement pour le secret et la clandestinité (le Japon a signé le Protocole de Genève en 1925, interdisant les armes chimiques, et n'a donc pas respecté cet accord), l'éloignement pour la sécurité (les éventuelles émanations toxiques ne pouvaient pas contaminer de villes proches, et l'île ne comptait alors que quelques familles de pêcheurs). C'est ainsi qu'en 1929 a été inaugurée une usine qui a produit des gaz toxiques, dans un Japon en pleine marche à la guerre: les spécialités étaient le gaz moutarde et le gaz lacrymogène, parmi d'autres raffinements. Et donc (faut-il vraiment le préciser?), les lapins ont été utilisés à l'époque comme animaux de laboratoire... L'activité s'est poursuivie jusqu'à la capitulation japonaise en 1945. Et là, l'usine a été abandonnée et les lapins survivants relâchés dans la nature; ce qui explique leur prolifération jusqu'à aujourd'hui, en l'absence de prédateurs. Il est possible, en cherchant un peu (ce n'est pas trop indiqué), de retrouver les ruines de l'usine:
C'est là que s'effondre l'image super kawaii d'Ōkunoshima. Un musée, dans lequel il est interdit de prendre des photos, retrace pudiquement, et en japonais uniquement, cette histoire si particulière de l'île. Au final, malgré tous les efforts pour rendre l'image de l'île aussi bucolique, il est vrai que la visite laisse un souvenir étrange et quelque peu dérangeant. La population locale se compte d'ailleurs sur les doigts d'une main: le maître-nageur de la piscine du centre de vacances, le gardien du musée qui sait dire "no" aux touristes souhaitant prendre des photos, le vendeur de tickets de bateau et de nourriture pour les lapins... et c'est à peu près tout. C'est donc une île aujourd'hui dévastée qui s'offre au visiteur, à condition de regarder un peu l'envers du décor. Avant de partir, il faut saluer ses compagnons d'un jour:
Le trajet du retour permet de retrouver le sourire, avec cette affiche des plus ravissantes trouvée dans le bateau:
La douceur finit toujours par l'emporter!

lundi 10 juin 2019

Kojima, ville des blue jeans

Le port de Kojima fait administrativement partie de la ville de Kurashiki, pourtant un peu éloignée. C'est toutefois une localité à part, car elle a une spécialité reconnue dans le monde entier: la fabrication des jeans. Et comme bien souvent, la spécialité est indiquée dès les égouts:
Si la réputation est récente, le savoir-faire est plus ancien. En effet, les terrains sur lesquels la cité de Kojima est bâtie sont gagnés sur la mer par poldérisation au XVI° siècle. De ce fait, les terres se sont révélées trop salées pour la riziculture, et ce sont les plantations de coton qui s'y sont développées. Les fabriques de textile ont ainsi pu prospérer, diffusant à travers le Japon des produits de grande qualité, comme les chaussettes tabi ou les uniformes scolaires par exemple. Dans la seconde moitié du XX° siècle, la présence d'Américains dans le pays a favorisé la mode des jeans, et c'est à ce moment-là que les usines ont reconverti leur activité vers cette nouvelle production. Une rue est dédiée à cette activité depuis 2009 seulement, mais sa notoriété grimpe en flèche. Le denim est vraiment le fil directeur local (sans mauvais jeu de mots), et une étape incontournable pour tous ceux qui arrivent à la gare de Kojima:
Les portillons et les escaliers sont déjà aux couleurs des jeans; les pantalons sont indiqués aussi sur le tampon de gare:
Il faut ensuite marcher une dizaine de minutes avant d'arriver dans la fameuse rue des jeans:
Bon, ce n'est pas très impressionnant, mais pour les fans, c'est là qu'il faut venir pour trouver des jeans de super qualité, voire des modèles uniques (personnalisables). Outre les pantalons, il est possible de dégoter tous les objets du quotidien (ou presque!) dans la fameuse toile bleue: sacs, bracelets, couvre-livres, trousses, porte-clefs... Jusque là, rien de bien remarquable. Mais en y regardant de plus près, on peut voir aussi que tout le mobilier urbain est décliné sur le même motif, comme les distributeurs ou les poubelles (entre autres):
Symbole de la consécration absolue, Monchhichi a lui aussi sa version denim:
Et, comme on sait que les Japonais ont le sens du détail, l'histoire ne s'arrête pas là. Oui, on peut aussi manger et boire dans des cafés spécialisés aux couleurs locales:
Bun bleu, burger bleu, glace bleue... Il y avait même une bière bleue un peu plus loin! J'avoue ne pas avoir goûté (une mauvaise expérience sans doute liée à des fruits de mer la veille ayant fragilisé mon estomac, ce n'était pas le moment pour des exploits culinaires), mais je le regrette aujourd'hui: c'est introuvable ailleurs. En guise de consolation, voici une petite plaque avec mise en scène, à l'ombre des jeans:

mardi 1 janvier 2019

Ujitawara, vrai village du thé

Pour les amateurs de thé, ce qu'on appelle "thé de Kyōto" ou, d'un air plus savant, "thé d'Uji", ne vient pas exactement des villes de Kyōto ou d'Uji. Par définition, ce sont des villes, peu de produits agricoles viennent réellement de là... En réalité, le thé matcha, si réputé, vient en grande partie du village d'Ujitawara, non loin de là. Et les plaques ne sauraient mentir:
Il s'agit là probablement d'une des plus belles plaques du pays. Même Google est au courant, puisque la plaque, en tant que modèle unique et magnifique, est répertoriée sur Google Maps: elle se trouve ici. De façon simplifiée, on trouve une autre version dans toute le village:
La cueillette du thé reste une activité traditionnelle et les plantations marquent le paysage. Les pentes des montagnes sont recouvertes de théiers:
Tout un système de câbles, de bâches et de ventilateurs permet aux feuilles de thé de se développer en contrôlant précisément les conditions d'hygrométrie et d'ensoleillement. En effet, on ne récolte pas un matcha d'excellence par hasard!
Mais Ujitawara recèle aussi un autre trésor: le temple Shōju-in, souvent qualifié de "temple le plus instagrammable de Kyōto". Un titre pareil, cela mérite une petite visite; mais vraiment, ça se mérite. Après avoir repéré l'endroit sur la carte, il m'a semblé sage de demander à l'office de tourisme comment s'y rendre. Et là, après un instant de stupeur, la dame a appelé un de ses collègues, pour m'annoncer en cœur: "on ne vous le conseille pas, c'est trop compliqué." Bon, il en faut un peu plus pour m'arrêter. Du coup, elle m'a indiqué l'itinéraire: un train local jusqu'à Uji, un bus municipal jusqu'à Ujitawara, puis un bus local (gratuit) jusqu'en bas du temple, puis 10 minutes de marche. Le tout avec un avertissement: "la fréquence du bus local est très faible, et en cas d'affluence, les habitants sont prioritaires sur les touristes." Dans l'hypothèse où ma motivation n'aurait pas encore disparu, elle m'a donné la fiche avec les horaires du bus local:
Avec toutes ces informations, plus le choix: il fallait y aller. C'est donc à l'aube que je suis partie, munie d'un appareil-photo à la batterie bien chargée. Train local, bus municipal: facile. Une fois à la station de bus local, une petite inquiétude: et si la foule se pressait dans le bus? J'ai été vite rassurée: grâce à cet horaire (très) matinal, et sans doute aussi grâce à la journée caniculaire, il y avait de la place dans le bus... en fait, j'étais la seule passagère. Le chauffeur a donc engagé la conversation, et au lieu de me déposer en bas du temple (avec une montée un peu raide, à pied, par 40°C), il a fait un détour pour me poser devant l'entrée du temple. Mieux, il m'a donné rendez-vous pour le trajet retour. Bref, comme souvent au Japon, ce qui s'annonce compliqué a priori se révèle finalement beaucoup plus simple dans la pratique. Ce temple, vieux de 800 ans mais régulièrement restauré, est particulièrement célèbre pour sa fenêtre Inome, "en forme de cœur":
Le cœur est un symbole traditionnellement utilisé au Japon en signe de porte-bonheur, sans la connotation sentimentale que nous pouvons lui accorder en Occident. Cette fenêtre, donnant sur un jardin japonais soigné, est surtout photographiée au printemps avec le cerisier fleuri à droite, en automne avec l'érable rougi à gauche, en hiver avec de la neige qui recouvre tout... mais là, il faudra se contenter de la végétation verdoyante estivale. De plus, il est préférable d'y aller dans l'après-midi, au moment où le soleil passe par la fenêtre et dessine un cœur sur le tatami. Là encore, il faudra se contenter d'une photo matinale, puisque le chauffeur du bus m'avait donné rendez-vous. Mais c'est déjà joli. Dans cette même pièce, le plafond est aussi remarquable, puisqu'il est recouvert de 160 peintures (un petit extrait seulement en photo):
La pièce n'est pas très grande, donc il n'est pas facile de prendre du recul, mais voici une photo pour donner une idée de l'agencement:
De l'autre côté du temple, un jardin très coloré permet de prolonger la promenade. Il est rempli d'innombrables fūrins, des clochettes de verre qui tintent avec le vent:
De minuscules Jizōs, tous plus mignons les uns que les autres, se cachent dans tous les recoins du jardin:
Comme on est au cœur des plantations de thé, la visite comprend aussi une dégustation de thé local, dans un petit pavillon avec vue sur le jardin:
C'est vrai que tout dans ce temple, et aux alentours, est plutôt photogénique. Mais c'est sur le spot le plus emblématique que l'on va rester pour des vœux de bonne année!