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dimanche 12 octobre 2025

Ogasawara, archipel au bout du monde

L'île de Chichijima, dans l'archipel d'Ogasawara, appartient à la préfecture de Tōkyō, mais se trouve à 1000 kilomètres de la capitale. La distance est d'autant plus importante que l'île n'a pas d'aéroport et ne peut donc être reliée que par bateau. Le ferry connecte l'île une fois par semaine en basse saison et deux fois par semaine en été. La traversée dure 24 heures, et le trajet fait partie intégrante du voyage. C'est donc après 24 heures de roulis et un léger mal de mer que je débarque à Chichijima, qui ne ressemble en rien au reste du pays. Cette île presque tropicale vit un peu de la pêche, un peu de l'agriculture, un peu du tourisme, et un peu hors du temps. Côté égouts, c'est plutôt la pêche miraculeuse. Je crois même que c'est l'endroit où j'ai trouvé le plus de plaques différentes dans un périmètre aussi limité! La plaque "standard", que l'on retrouve un peu partout, est aussi ma préférée, avec ses dauphins souriants:
L'archipel est situé sur la route de passage des baleines (de janvier à avril), qui sont protégées dans la région. Elles font l'objet de plaques très stylisées:

L'île est classée au patrimoine naturel de l'Unesco pour sa biodiversité très spécifique. En pratique, l'éloignement et l'isolement de l'archipel entraînent une grosse proportion d'espèces animales et végétales endémiques, mais peu variées (il faut dire que le territoire est tout petit). On peut d'ailleurs noter qu'il n'y a que des animaux herbivores sur l'île (ce qui exclut les chats, omniprésents au Japon, ou les serpents, ce qui n'a pas manqué de me réjouir). Une série de plaques célèbre ainsi les espèces endémiques locales:





Ces plaques se situent dans la rue qui longe le port de pêche. Et dans la rue principale du village, on peut trouver une série de plaques Pokémon:
Le ferry assure même la promotion de ces plaques Pokémon, devenues un argument touristique! C'est donc à bord du bateau que commence le séjour à Ogasawara. Après avoir quitté la baie de Tōkyō, et maintenant un roulis constant, le bateau s'engage dans l'océan Pacifique en direction du sud-est. Malgré les nuages, on a pu apercevoir le Fuji-San:
Même si certains Japonais étaient convaincus que ce n'était pas possible de le voir, aucun n'a été capable de me dire quelle autre montagne dominait ainsi la région... Donc par défaut, considérons que c'était bien le Fuji-San. Ce qui a en revanche mis tout le monde d'accord, c'est le coucher de soleil assez magnifique auquel nous avons eu droit:
Les 24 heures de voyage sont aussi l'occasion de rencontrer les autres passagers. Comme tout le monde se dirige vers la même destination (un village de 2000 habitants), les rencontres ont intérêt à bien se passer, car on est amené à revoir les mêmes personnes plusieurs fois par jour sur place. Pour l'occasion, j'ai une petite pensée pour Yuka-San, ainsi que sa famille: elle m'a gentiment abordée dès le départ du bateau et nous avons ensuite partagé pas mal de bons moments, comme l'observation des étoiles sur le pont du bateau en plein océan ou des poissons tropicaux lors d'une baignade à la plage. Même si nous n'avons pas échangé directement, je suis restée admirative de ce monsieur (ingénieur sans doute?) et sa casquette:
Un mini panneau solaire à l'arrière de la tête alimente un ventilateur, sous la visière, qui aère le visage... Ce génial prototype est hélas introuvable en magasin. J'espère qu'il a breveté le modèle. Une fois à destination, il est temps de partir explorer l'île et de dire au revoir au ferry Ogasawara-Maru qui repart déjà vers la capitale:
Autant le dire tout de suite, de tout ce qui est représenté sur les plaques, je n'ai hélas pas vu grand-chose, à part les oiseaux (mais ils sont beaucoup trop rapides pour être pris en photo). En effet, ce n'était pas la bonne saison pour les baleines; pour les dauphins, il y a quelques spots mais il faut réserver longtemps à l'avance (ce que j'ignorais); quant aux tortues, elles sont essentiellement visibles dans un centre de protection (donc dans des aquariums):
Cela dit, c'est toujours plus agréable de voir les tortues s'amuser, même en captivité, plutôt qu'au menu du restaurant, à choisir entre crues ou cuites:
Autre petite bête rencontrée plusieurs fois, en liberté sur les plages, le bernard-l'hermitte est très présent sur l'île:
Le caractère tropical de l'île est toutefois bien visible dans la végétation, avec des frangipaniers et des hibiscus aux couleurs chatoyantes:
Ogasawara dispose aussi d'un citron local, qui arrive à maturité à l'automne, mais qui reste vert:
Compte tenu de sa localisation et de son éloignement par rapport au reste de l'archipel japonais, Ogasawara a été le terrain de quelques expérimentations agricoles. En particulier, on y trouve quelques (modestes) plantations de café depuis 1878. Ce café est le seul dans le monde cultivé hors de la ceinture tropicale. Les cerises ne mûrissent qu'à l'automne et sont encore vertes en été:
On ne peut pas vraiment parler de plantation, car l'île doit compter environ 3 caféiers. Une ferme, Nose Farm Garden, spécialisée dans cette culture depuis 5 générations, propose la visite de ses arbres, ainsi que l'expérience de la transformation (dont la torréfaction) jusqu'à la dégustation. Ce café d'exception (par sa rareté plus que par son goût) n'est en vente que dans la ferme elle-même, et en quantité très limitée. La ferme produit aussi (en quantité tout aussi limitée) quelques gousses de vanille. Le mélange des odeurs de café et de vanille embaume le corps de ferme, un vrai délice:
Le café est d'ailleurs un art de vivre sur l'île. Comme les touristes à Chichijima sont là pour prendre le temps, certains cafés ont choisi de développer ce créneau. Le café Yusuke est à ce titre remarquable. Dans un ancien camion reconverti, enfoui dans la forêt, on peut siroter un café au milieu des poules:
Le service prend le temps (mais ici, on en a), au point que j'ai cru que le barista-fermier était allé cueillir le café au moment de la commande; en réalité, il a dû seulement le moudre, mais tranquillement. Cette pause au calme (il n'y avait personne d'autre), à peine interrompue du "cocorico" des coqs (ici, ils font "kokekokko"), était très relaxante. Le café se trouve à proximité de l'arrêt de bus le plus au sud de la préfecture de Tōkyō:
Malgré les faibles distances, l'île est en effet dotée d'une ligne de bus; celle-ci compte aussi l'arrêt le plus à l'est de la préfecture de Tōkyō:
Cet arrêt dessert la plage de Sakaiura, sans doute une des plus belles du pays. La baie, protégée par le corail, a vu s'échouer le Hinko-Maru, navire de la Seconde Guerre Mondiale, le 12 juin 1944. En raison de la faible profondeur, l'épave est en partie émergée; la partie immergée est envahie de coraux et de poissons multicolores:
En compagnie de Yuka-San et sa famille, nous avons profité d'une baignade au milieu des poissons, dans une eau parfaitement limpide. Un simple masque suffit à admirer un spectacle incroyable; à noter cependant: le corail, ça coupe... Gare à l'accident de corail! La plage permet aussi de se détendre sur une petite balançoire les pieds dans l'eau; malgré une petite appréhension (avant moi, seuls des enfants se balançaient), j'ai testé et ça a tenu:
Le retour au village m'a valu, outre une bonne petite averse tropicale, la traversée de quelques vestiges abandonnés et figés dans une autre époque, tels qu'un bateau, une voiture, un distributeur ou encore une authentique cabine téléphonique (en service):
Afin de se repérer, un panneau indicatif permet de situer quelques lieux parmi les plus "proches":
Tōkyō se trouve donc à 979 kilomètres, Guam à 1538 et Hawaï à 6059. Cela donne une petite idée de l'isolement des lieux... Et on comprend ainsi mieux pourquoi, lorsque le ferry repart pour nous conduire à Tōkyō, tout le village est rassemblé au port pour célébrer le moment:
Entre concert de tambours, banderoles chaleureuses et colliers de fleurs lancés à la mer, le départ est émouvant. Mais l'enthousiasme des habitants ne s'arrête pas là, car de nombreux petits bateaux de pêche escortent le bateau à sa sortie du port:
Et ce n'est toujours pas fini! Après avoir accompagné le ferry vers l'océan, chaque petit bateau s'est approché du gros ferry pour le saluer, et les passagers ont sauté à l'eau:
Cette pause loin de tout était une vraie parenthèse enchantée. L'archipel fait partie administrativement de la préfecture de Tōkyō pour des raisons stratégiques: il représente 30% de la zone économique exclusive japonaise. Pourtant, au-delà des enjeux géopolitiques, c'est surtout un sentiment de sérénité qui domine cette île entre ciel et mer, si près et si loin de la capitale. Je souhaite à chacun de découvrir un jour ce petit coin de paradis (à condition de parler un petit peu japonais quand même!)... またね小笠原!

dimanche 9 mars 2025

Amami, île à vélo

L'île d'Amami appartient à la préfecture de Kagoshima, mais se trouve dans le prolongement de l'archipel d'Okinawa. Cette île à l'ambiance tropicale affiche au centre de son village principal, Naze, ses plus beaux arguments:
Si cette première plaque est plutôt facile à trouver, disposée en de multiples exemplaires dans le village principal, il existe une autre plaque, beaucoup plus rare et beaucoup plus éloignée des zones de passage:
Pour être tout à fait honnête, je me suis renseignée à l'avance auprès de la mairie d'Amami sur la localisation de cette dernière plaque, aperçue sur Instagram, mais apparemment bien cachée. Un employé de la mairie a eu la gentillesse de répondre à mon improbable message et de m'indiquer la géolocalisation de cette plaque (si jamais il lit cet article: grand merci!): limitée à une petite rue longeant une école du village de Kasari, à la pointe nord de l'île. Bon, le village de Naze, où je compte m'installer, n'est pas vraiment à côté... Mais bonne nouvelle: le petit hôtel dans lequel j'ai réservé une chambre propose une location de vélo à la journée. Mon programme est alors établi: je vais louer un vélo et faire un périple à travers l'île jusqu'à la plaque à la tortue tant convoitée! C'est l'occasion de découvrir les paysages à mon rythme. Et puis, dès l'aéroport, on trouve des cartes "Amami à vélo": c'est donc faisable, non? Enfin, dit comme ça, le projet semble bien; dans la pratique, il faut prendre en compte quelques éléments complémentaires... Peu avant l'atterrissage, on découvre à quoi ressemble Amami; les couleurs évoquent bien le côté tropical (donc chaud):
Et lorsque l'avion est vraiment en phase d'approche, je réalise un autre petit détail... C'est pas plat:
Mais rien ne peut alors entamer ma motivation. Le matin, à 7h30, je me présente à l'accueil pour louer un vélo. Le prix est incitatif, à 500¥ la journée (soit environ 3,5€). Bien sûr, à ce prix, il ne faut pas s'attendre à un vélo de compétition. Voici l'engin qui m'a accompagnée:
J'aime bien cette photo, avec le vélo vintage, la plage et la forêt tropicale: cela me semble un bon résumé de mon passage sur l'île, dans tout son charme et toute sa douleur aussi. Précisons que ce vélo n'a pas de vitesses, que la selle est trop basse pour moi (et trop rouillée pour être remontée), et qu'il grince un peu. C'est donc avec un enthousiasme certain et un équipement douteux que je me lance. Le début est tranquille: les alentours de Naze sont presque plats, et le ciel légèrement voilé. Le charme désuet de l'île se manifeste dès le port et ses vieux bateaux à quai:
Dès la sortie du village, l'ambiance devient plus rurale avec un verger de papayers:
Rapidement, le ciel s'est dégagé et la température a grimpé de quelques degrés. Parallèlement, le trajet est devenu moins plat. Heureusement, j'ai pris soin de repérer quelques étapes intéressantes pour m'arrêter. Pour commencer, il y a le Heart-Rock. Il s'agit de rochers en forme de cœur, recouverts à marée haute, mais qui retiennent l'eau à marée basse, formant ainsi une petite piscine en cœur. N'ayant aucune idée des horaires des marées, je m'arrête le matin (si nécessaire, je peux revenir sur le trajet retour). Après m'être égarée sur un mauvais chemin, je finis par suivre une famille venue se prendre en photo devant ce spot. Pour l'atteindre, il faut traverser, sur quelques dizaines de mètres, une sorte de jungle:
La densité de la végétation ne laisse pas trop imaginer ce que l'on trouve à la sortie: une plage ensoleillée avec une eau turquoise. Le Heart-Rock est bien indiqué, quand bien même il serait difficile de ne pas le trouver:
Par chance, la marée est basse, permettant d'admirer ce lieu emblématique:
C'est vrai que le site est joli, et pas envahi de monde. Je profite un peu du moment, avant de poursuivre mon périple. La suite est plus difficile, avec plus de dénivelé et une chaleur de plus en plus étouffante. Les quelques (rares) cyclistes croisés semblent souffrir aussi. Au sommet d'une côte, il y en a un qui me lance: "je suis fatigué!" dans un éclat de rire. Après avoir atteint le point le plus au nord de mon itinéraire et découvert la fameuse plaque à la tortue, le trajet retour me semble insurmontable... L'île semble cependant équipée de kits de survie, puisqu'on trouve des distributeurs de boissons fraîches le long de la route au milieu de rien:
Mais dans mon état, j'ai préféré faire une vraie pause dans un petit café. Mon choix s'est porté sur un tout petit café, au bord de la route et surplombant la côte, avec un jardin rempli de fleurs tropicales (hibiscus, frangipaniers, bougainvilliers). Le café étant vide avant mon arrivée, j'ai trouvé la dame en train de jardiner. Lorsqu'elle m'a vue sur mon vélo (elle a vérifié qu'il n'y avait pas de moteur), elle a semblé étonnée et m'a demandé mon itinéraire. Et là, elle s'est figée: "même les montées?!" En effet, même les montées! Elle m'a alors installée à une table, et tandis que son mari me préparait une délicieuse boisson fraîche, elle est allée me chercher des petites lingettes rafraîchissantes. Je ne connaissais pas le principe, mais cela a sauvé ma journée. Elle m'a appliqué des lingettes sur la nuque et sur les cuisses; visiblement, mon apparence l'a un peu effrayée. Ces lingettes ont un pouvoir magique: cela donne vraiment la sensation de faire baisser la température du corps. En cas de coup de chaud, on se sent mieux instantanément et durablement. Comme ce couple a été adorable avec moi, je me permets de faire un peu de publicité pour leur café:
Pour ceux qui ont la chance d'aller à Amami, je vous recommande cette adresse! Je serais bien restée là des heures, à papoter avec eux, confortablement installée sur leur banquette (plus souple que la selle...), en écoutant des vieux rocks des années 1950... Mais je dois rentrer à Naze. Grâce au café frappé, aux lingettes et à leurs encouragements, j'ai retrouvé assez de force pour redémarrer. Sur leurs conseils, je me suis arrêtée à la plage Yoan, où l'on peut voir "parfois" des tortues marines:
La notion de "parfois" est assez extensible. En pratique, je n'ai vu aucune tortue; mais la plage est très belle, donc l'étape est plaisante. Il m'a fallu ensuite rentrer jusqu'à Naze:
En rendant mon vélo à 20h, un petit sentiment de satisfaction m'envahit: j'ai réussi à trouver les plaques convoitées, et j'ai découvert pas mal de sites que je ne connaissais pas. Il me restera de nombreux souvenirs gravés de cette excursion. Dans ma tête: de belles images, des ambiances chaleureuses (au sens propre comme au figuré), des rencontres sympas. Dans ma peau: le "bronzage Amami" (modèle breveté), avec marque du short sur les cuisses encore visible plus de 6 mois après et cloques sur les épaules... Bref, Amami, ça se vit!